Le Journal
Arts - Médias - Socièté - Web
Actualités, critiques, éditos et portraits du monde contemporain sous toutes ses facettes musicales, artistiques, médiatiques, sociétales, politiques et technologiques, afin de croquer le monde à travers le prisme du sonore et de la musique.
En cette très longue période où, stupéfaits, nous avons dû subir le rétrécissement de notre monde extérieur, où le confinement des corps rapetissait en un même mouvement l’espace de nos esprits et parfois de nos cœurs, beaucoup ont éprouvé l’urgence vitale de se retrouver dans des territoires intouchés, inaccessibles à cet ennemi viral invisible responsable de désastres qui n’étaient eux que trop visibles.
Pour moi, comme pour beaucoup, la musique n’est pas une consolation, mais une source vive à travers laquelle, au-delà de la pure jouissance esthétique, je trouve toujours un chemin pour retourner à l’essentiel de ce qui m’habite. Cet « essentiel » qui parfois s’effrite ou se disloque sous le coup de circonstances parfois futiles, parfois tragiques…
Parmi toutes les musiques que j’ai inlassablement écoutées durant ce confinement, il y a celles du dernier disque de Sonia Wieder – Atherton : Cadenza. Pourquoi ? Peut-être, parce qu’il y a chez Sonia Wieder – Atherton, quelque chose qui ne semble jamais se résoudre à la réduction, à l’enferment, à l’assignation, au « Un » . Quelque chose qui sans cesse, en appelle au dialogue, à l’échange, à l’exploration de nouveaux chemins. Il s’agit donc ici de s’immerger avec elle, comme elle, sans réserve, dans l’univers des concertos du compositeur et virtuose du violoncelle Luigi Boccherini.
Comme avec ses disques précédents, à l’écoute de SWA, je deviens une arpenteuse de nouveaux territoires. Non pas que ces territoires aient été jusqu’ici ignorés, mais parce que la façon singulière qu’elle a de les explorer, les confronter, les métamorphose en de nouvelles terrae incognitae pour l’oreille. Ainsi, après avoir fait, entre autres, dialoguer son instrument avec la voix de Nina Simone, l’œuvre de Monteverdi avec celle de Giacinto Scelsi, voici qu’elle nous entraîne vers l’Italie du XVIII°. Je dis nous entraîne, car dès les premières notes de ce nouvel opus, il est difficile de résister à l’injonction de son violoncelle. À cette puissance qui n’est jamais violence, mais engagement dans la trame du son, dans la dynamique lyrique du récit musical. À son écoute, très vite, l’on perd la notion du temps, la notion des temps. Clin d’œil à Miles Davis, un autre à Stravinsky ou Kurtag, atmosphère parfois délicatement bruitiste, suivie de longues phrases au romantisme sombre qui rappellent les climats à fleur de cœur, de corps et d’archet de l’adagio du quintette en Do majeur de Schubert. C’est ainsi que Sonia Wieder – Atherton nous convie dans son monde où la vie finit toujours par jaillir, jusqu’au cœur même des méandres infinis de la mélancolie. Sonia Wieder Atherton se fond dans l’univers musical, les couleurs, les profondeurs toujours élégantes de la musique de Boccherini, plus encore, elle les met en résonance avec les vibrations de nos mondes sonores contemporaines.
Dialoguant ainsi avec cette musique, dialoguant avec nous, Sonia Wieder – Atherton dans Cadenza, son dernier opus, réalise ce que Luigi B disait espérer pour son œuvre dans une lettre envoyée à Marie-Joseph Chénier, le 18 juillet 1799 « “Je ne puis juger si j’ai fait quelque chose de bon, mais je sais bien que la musique est faite pour parler au cœur de l’homme et c’est à quoi je m’efforce de parvenir, si je le puis : la musique privée de sentiment et de passions est insignifiante d’où il résulte que le compositeur n’obtient rien sans les exécutants”.